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2.4 La parole aux experts: Interview avec Dr Constanze Weth
Constanze Weth est spécialisée en linguistique et en pédagogie des langues. Elle est devenue professeur associé pour l’éducation multilingue à l’Université du Luxembourg en 2013 et dirige l’Institut de recherche sur le multilinguisme depuis 2014. Elle est spécialiste de la multilittératie et du développement de l’orthographe et possède une vaste expérience de la recherche sur le développement de l’orthographe en français et en allemand, langues secondes et étrangères.
1. Quel rôle joue l’apprentissage ludique/la ludification dans l’enseignement de la grammaire ? Les phénomènes grammaticaux complexes peuvent-ils effectivement être acquis de manière coopérative et centrée sur l’apprenant ou par le biais de formes ouvertes d’enseignement ?
L’enseignement de la grammaire est traditionnellement considéré comme un domaine autonome de l’enseignement d’une langue. En même temps la grammaire et son enseignement sont en relation étroite avec la culture de l’écrit et l’acquisition de la langue écrite. Une justification courante du maintien de l’enseignement de la grammaire est d’apprendre à écrire de meilleurs textes. Cette prémisse de l’enseignement de la grammaire a suscité de fortes controverses au cours des dernières années, allant jusqu’à reprocher à l’enseignement de la grammaire d’entraver l’acquisition de la langue (voir Myhill, 2007, pour un aperçu). D’autre part, des études ont montré que la prise de conscience des structures linguistiques peut apporter une contribution essentielle à l’apprentissage de la langue écrite, en particulier pour les élèves les plus faibles (Boivin et al., 2018 ; Myhill, 2007). Cette perspective se retrouve dans de multiples études de l’intervention (cf. Bîlici et al., 2018 ; Brucher et al., 2020 ; Klasen et al., 2023).
Les élèves et les enseignants ont souvent l’impression que l’enseignement de la grammaire est déconnecté de leur propre communication linguistique et de leurs activités langagières. Pour remédier à cela, il existe de nombreuses tentatives de proposer des cours de grammaire «ludiques». Le terme «ludique» en cours de grammaire peut signifier beaucoup de choses différentes : des illustrations colorées ou du matériel de soutien non-linguistique, comme par exemple la «Machine à grammaire» (Harion, 2023) ou les «Briques de grammaire» (Weth, 2017).
Plus important que l’aspect « ludique », deux aspects sont considérés comme essentiels pour que l’enseignement de la grammaire ait un effet positif sur l’acquisition de la langue et de l’écriture : les compétences et les attitudes des enseignants vis-à-vis de l’enseignement de la grammaire (van Rijt et al., 2019) et un enseignement qui montre clairement que les structures grammaticales font partie intégrante de la langue et des textes (Myhill & Watson, 2014).
2. Des éléments de Briques de Grammaire ont fait/font l’objet de plusieurs études – y a-t-il
déjà des résultats sur l’efficacité et des idées de poursuite?
« Briques de Grammaire » (Weth, 2017) est une grammaire destinée à l’enseignement des langues pour soutenir le développement de la conscience linguistique en ce qui concerne les mots (catégories de mots) et les structures de phrases. Elle est conçue pour être utilisée du cycle 1 au cycle 4 et développe les compétences linguistiques en luxembourgeois (cycle 1), transfère les connaissances structurelles acquises en luxembourgeois à l’allemand (à partir du cycle 2) et compare certaines structures avec le français (à partir du cycle 3).
Les Briques de Grammaire ont été développées pendant deux ans en collaboration avec des enseignants de tous les cycles de l’École Dellhéicht. Au cours de ce processus, de nombreuses séquences d’enseignement filmées ont fait l’objet d’une réflexion dans le cadre de groupes de discussion.
Une étude d’intervention s’est penchée, entre autres, sur l’efficacité des Briques de grammaire. L’étude a examiné quelles méthodes didactiques favorisent la production des majuscules des noms en allemand écrit (Brucher, 2021 ; Brucher et al., 2020). Pour ce faire, des enfants du cycle 4.1 ont été répartis en quatre groupes d’entraînement et ont été soutenus intensivement en petits groupes pendant 8 semaines avec une approche didactique : un groupe a reçu un entraînement selon l’approche scolaire habituelle ; un groupe a reçu un entraînement en lecture sans aborder la question des majuscules (groupe de contrôle). Deux groupes ont reçu un entraînement qui considère la majuscule comme un phénomène grammatical en rapport avec la structure des phrases nominales (Weth, 2020). Parmi ces deux groupes, l’un travaillait avec un crayon et du papier et l’autre utilisait en plus les Briques de grammaire.
Le résultat de l’étude : Les groupes qui ont travaillé sur les références grammaticales de la majuscule ont obtenu des résultats significativement meilleurs que les deux autres groupes après l’entraînement. Cependant, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes qui se penchaient sur les structures grammaticales et travaillant avec ou sans Briques de grammaire.
Que signifie ce résultat pour les Briques de grammaire ? Les Briques de grammaire (tout comme les matériaux Montessori ou autres) utilisent des représentations visuelles qui doivent aider les enfants à mieux comprendre les références grammaticales abstraites. Toutefois, les enfants doivent bien sûr apprendre ces représentations visuelles avant pouvoir les utiliser comme aide d’apprentissage. L’effort cognitif nécessaire pour travailler avec des représentations visuelles est donc aussi important que sans ce matériel supplémentaire, au moins dans un premier temps.
Dans la courte intervention de Brucher, tous les enfants ont reçu huit fois 20 minutes d’entraînement. Nous ne pouvons que spéculer sur le fait que les enfants qui avaient déjà travaillé avec les Briques de grammaire avant l’entraînement auraient eu de meilleurs résultats que les enfants de notre étude qui n’ont découvert les Briques de grammaire que pendant l’entraînement.
Dans tous les cas, les vidéos qui montrent des situations d’enseignement avec les Briques de grammaire et le feedback des élèves de tous les cycles montrent que l’utilisation ponctuelle des Briques de grammaire dans l’enseignement est motivante.
3. Comment peut-on transférer les contenus et/ou les éléments structurels de Briques de Grammaire dans l’enseignement secondaire ? Comment l’enseignement de la grammaire pourrait-il être adapté à l’enseignement des langues étrangères ?
« Briques de grammaire » (Weth, 2017) est une grammaire simplifiée qui convient pour enseigner les schémas syntaxiques de base du luxembourgeois et de l’allemand, comme par exemple la structure des phrases nominales ou la position des verbes. Si les élèves ont des difficultés avec ces thèmes en Secondaire, un «atelier» avec les Briques de grammaire pourrait être utile : la représentation avec les briques crée une distance par rapport à des thèmes perçus comme difficiles, comme l’orthographe et le contenu des phrases et des textes. Les éléments constitutifs représentent des modèles de phrases simplifiés que les élèves apprennent à reconnaître dans la représentation de phrases avec les briques. Ces modèles (de briques) peuvent ensuite être reconnus dans les (vraies) phrases écrites.
Comme nous l’avons dit plus haut, les Briques de grammaire ont été développées en tenant compte des structures linguistiques de l’allemand et du luxembourgeois. Le français peut également être illustré par ces Briques de grammaire, mais de préférence en comparaison avec l’allemand ou le luxembourgeois. Une comparaison avec d’autres langues est également possible. Toutefois, cela peut nécessiter une adaptation des éléments à la structure linguistique correspondante.
Références :
Bîlici, N., Ugen, S., Fayol, M., & Weth, C. (2018). The effect of morphosyntactic training on multilingual fifth graders’ spelling in French. Applied Psycholinguistics, 39(6), 1319–1343. https://doi.org/10.1017/S0142716418000346
Boivin, M.-C., Fontich, X., Funke, R., & Myhill, D. (2018). Working on grammar at school in L1 education: Empirical research across linguistic regions. Introduction to the special issue. L1 Educational Studies in Language and Literature, 18, 1–6.
Brucher, L., Ugen, S., & Weth, C. (2020). The impact of syntactic and lexical trainings on capitalization of nouns in German in grade five. L1 Educational Studies in Language and Literature, 1–23. https://doi.org/10.17239/l1esll-2020.20.01.01
Brucher, L., Ugen, S., & Weth, C. (2020). The impact of syntactic and lexical trainings on capitalization of nouns in German in grade five. L1 Educational Studies in Language and Literature, 1–23. https://doi.org/10.17239/l1esll-2020.20.01.01
Brucher, L. (2021). Capitalization of nouns in German in multilingual children in Luxembourg. From contrasting different training approaches to exploring training-independent factors.
Harion, D. (2023). Luxembourg Programme for Innovative Teaching and Training (PITT): #Machine à grammaire.
Klasen, L., Ugen, S., Dording, C., Fayol, M., & Weth, C. (2023). Do learners need semantics to spell syntactic markers? Plural spellings in real vs. Pseudowords in a French L2 setting. Reading and Writing, 0123456789. https://doi.org/10.1007/s11145-023-10422-6
Myhill, D. (2007). Misconceptions and Difficulties in the Acquisition of Metalinguistic Knowledge. Language and Education, 14(3), 151–163.
Myhill, D., & Watson, A. (2014). The role of grammar in the writing curriculum: A review of the literature. Child Language Teaching and Therapy, 30(1), 41–62. https://doi.org/10.1177/0265659013514070
van Rijt, J. H. M., de Swart, P. J. F., Wijnands, A., & Coppen, P. A. J. M. (2019). When students tackle grammatical problems: Exploring linguistic reasoning with linguistic metaconcepts in L1 grammar education. Linguistics and Education, 52, 78–88. https://doi.org/10.1016/j.linged.2019.06.004
Weth, C. (2017). Bausteng Grammatik—Bausteine Grammatik – Briques de Grammaire: Material zum Erforschen von Wörtern und Sätzen (1st ed.). Ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse / Université du Luxembourg. https://script.lu/sites/default/files/publications/2019-12/Bausteine Grammatik_0.pdf
Weth, C. (2020). Schon alles gesagt zur satzinternen Großschreibung ? Der Deutschunterricht, 2, 44–52.