Margarida Romero

L’agentivité, ou la capacité d’agir dans un monde numérique, requiert le développement de compétences telles que la pensée critique, la résolution créative de problèmes et la pensée informatique. Les jeunes ont le potentiel de développer le pouvoir d’agir s’ils sont au contact d’un environnement capacitant. Cependant, le contexte actuel de la plupart des jeunes les conduit à un sentiment d’impuissance face aux défis climatiques et devant l’inaction des acteurs politiques. Les défis climatiques sont une source d’anxiété chez les jeunes du monde entier (Hickman et al., 2021). Parmi les 10 000 jeunes âgés entre 16 et 25 ans des différents pays enquêtés (Australie, Philippines, Inde, États-Unis, Angleterre, Nigeria, Finlande, Portugal, Brésil et France), 45 % déclarent être concernés dans leur vie quotidienne par ces questions et 65 % considèrent que les gouvernements mettent en jeu l’avenir des jeunes. Dans ce contexte, les jeunes peuvent développer une attitude fataliste, se sentant dans l’impossibilité d’agir. Face à cette situation, nous considérons l’importance de développer la capacité d’agir pour transformer l’activité humaine, soit « l’agentivité transformative » (Engeström & Sannino, 2013). L’agentivité transformative peut permettre aux jeunes de développer les différentes formes d’action intentionnelle dans leur environnement tant individuel que collectif (Engeström, 2013).

Selon cette visée, nous considérons les technologies tant analogiques que numériques comme des moyens permettant de développer des artefacts et d’appuyer des idées et des plates-formes pour soutenir les actions des jeunes en vue des objectifs de développement durable (ODD). Dans cet objectif, nous visons le développement des cinq compétences clés du 21e siècle (#5c21) : la pensée critique, la créativité, la résolution de problèmes, la collaboration et la pensée informatique. Ces compétences sont développées par le biais d’usages créatifs du numérique en lien avec la pensée informatique.

Nous devons faire la distinction entre les usages du numérique qui permettent de soutenir la créativité des apprenants et ceux qui placent l’apprenant dans une situation de consommation passive (comme consulter des vidéos éducatives) ou de consommation interactive (comme des jeux-questionnaires). À partir du modèle de Chi et Wylie (2014), nous distinguons cinq types d’usage du numérique en contexte d’éducation (figure 1) selon l’engagement de l’apprenant : la consommation passive, la consommation interactive, la création de contenu, la cocréation de contenu et, en dernier lieu, la cocréation participative de connaissances orientée vers la compréhension ou la résolution de problèmes partagée par la classe, conçue comme une communauté d’apprentissage. Afin de soutenir les processus créatifs en éducation, nous proposons d’impliquer l’apprenant dans des processus créatifs de construction de connaissances sur le plan individuel ou collaboratif (Romero, Laferrière & Power, 2016). Ces usages du numérique sont liés à la création de contenu, à la cocréation de contenu et à la cocréation participative de connaissances (Romero, Lille & Pattino, 2017).

La capacité à développer des projets créatifs à travers la programmation est appelée la technocréativité ; elle peut être atteinte par le biais d’activités de programmation, de robotique pédagogique et de bricolage physico-numérique en contexte de laboratoire créatif (fablab, makerspace). Ces activités technocréatives visent à engager les jeunes dans des défis liés aux ODD et à leur faire développer des artefacts et des prototypes de solutions au départ d’une combinaison de différentes techniques tant analogiques que numériques.

Les activités technocréatives dépassent l’usage passif ou interactif de la technologie pour engager les jeunes dans des démarches de création individuelle, de co-création en équipe ou de cocréation participative orientée vers la compréhension ou la résolution de problèmes partagés par une communauté.

Figure 1. Les cinq niveaux d’usage des TIC (Romero, 2015)

La création de contenu est considérée comme un processus de construction de connaissances nouvelles (Stahl et al., 2014). Dans le cas de la cocréation, le processus s’inscrit dans une démarche collective de partage d’« expériences et de connaissances et la négociation de leur pertinence au sein du groupe par rapport à la question que les apprenants se posent ou le problème sur lequel ils se penchent. Ce processus peut conduire les participants à la production de contenus nouveaux par l’explicitation ou l’exposition à des connaissances et des conceptions des pairs » (Nizet & Laferrière, 2005, p. 154). Cette production originale prend alors une forme, sous support numérique, de type textuel, audio-visuel ou multimédia. Dans le cas de la cocréation participative de connaissances orientée vers la compréhension ou la résolution de problèmes, l’équipe d’apprenants peut intégrer, dans sa démarche, des acteurs de la communauté (école, quartier, …) dans un processus orienté vers la bonification d’une problématique qui interpelle cette même communauté (Romero & Laferrière, 2015).

Face aux défis sociétaux comme la crise climatique, les jeunes peuvent dépasser l’éco-anxiété pour devenir des acteurs du changement par le biais du développement de leur capacité d’agir, avec ou sans le numérique, dans des environnements capacitants où la communauté se met au service du développement des compétences des jeunes pour leur faire dépasser leur anxiété et s’engager dans l’action.

Références

Chi, M.T.H., & Wylie, R. (2014). The ICAP Framework : Linking Cognitive Engagement to Active Learning Outcomes, Educational Psychologist, vol. 49, n o 4, p. 219-243.

Engeström, R. (2013). New forms of transformative agency , Technology-enhanced professional learning: Processes, practices and tools, 92-109.

Engeström, Y., & Sannino, A. (2013). La volition et l’agentivité transformatrice: perspective théorique de l’activité. Revue internationale du CRIRES: innover dans la tradition de Vygotsky.

Hickman, C., Marks, E., Pihkala, P., Clayton, S., Lewandowski, E. R., Mayall, E. E., Wray, B., Mellor, C., & van Susteren, L. (2021). Young peoples voices on climate anxiety, government betrayal and moral injury: A global phenomenon. Government betrayal and moral injury: A global phenomenon. The Lancet. http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3918955

Nizet, I., & Laferrière, T. (2005). Description des modes spontanés de co-construction de connaissances: contributions à un forum électronique axé sur la pratique réflexive. Recherche & formation, 48(1), 151-166.

Romero, M. (2015). Digital game design as a complex learning activity for developing the 4Cs skills: Communication, collaboration, creativity and critical thinking. In International conference on games and learning alliance (pp. 90-99). Springer, Cham.

Romero, M., & Laferrière, T. (2015). Usages pédagogiques des TIC: de la consommation à la cocréation participative. Vitrine Technologie Éducation, 4.

Romero, M., Laferriere, T., & Power, T.M. (2016). The move is on ! From the passive multimedia learner to the engaged co-creator, eLearn, no 3, p. 1.

Romero, M., Lille, B., & Patino, A. (2017). Usages creatifs du numerique : pour l’apprentissage au XXIe Siecle.

Stahl, G., Ludvigsen, S., Law, N., & Cress, U. (2014). CSCL artifacts. International Journal of Computer-Supported Collaborative Learning, 9(3), 237-245.