2.1 Indication didactique
Ann Kiefer
Les mathématiques sont fréquemment perçues par les élèves comme une discipline abstraite, déconnectée de la réalité quotidienne. En conséquence, elles sont souvent considérées comme peu pertinentes pour la vie des élèves en dehors du cadre scolaire. Afin de remédier à cette perception, on s’efforce de démontrer les applications concrètes des mathématiques aux problèmes du monde réel. Cependant, ces applications sont souvent jugées ennuyeuses ou hors du contexte de la vie des adolescents (par exemple, adapter une recette pour quatre personnes à six, calculer des taux d’intérêt, déterminer la hauteur des bâtiments, etc.), ou bien elles sont trop complexes pour qu’un élève du secondaire puisse réellement comprendre les concepts mathématiques sous-jacents (comme les mathématiques du GPS ou celles utilisées dans l’intelligence artificielle, par exemple).
Dans ce module, nous proposons une application mathématique accessible aux élèves de 6e : les codes-barres. Les mathématiques des codes-barres reposent principalement sur les restes des divisions euclidiennes, un sujet inclus dans le programme de 6e. Ce module constitue donc une leçon idéale pour s’exercer aux divisions euclidiennes tout en découvrant une application concrète de ce domaine souvent perçu comme aride.
Bien que les codes-barres ne soient pas parmi les technologies les plus en vogue, ils sont omniprésents dans notre quotidien. Nous les rencontrons chaque jour. De plus, d’autres éléments tels que nos comptes et cartes bancaires, ainsi que nos cartes de sécurité sociale reposent sur le même principe que les codes-barres. Même les QR codes, bien que plus complexes, sont basés sur un principe similaire. Pour plus d’informations sur ce sujet, nous invitons les lecteurs intéressés à consulter la Section 2.5 : Pour aller plus loin.
Les mathématiques dans les technologies de l’information sont invisibles et donc pas réelles pour les adolescents, et les gens en général. Ceci vaut aussi pour les codes-barres. Ils sont là, on les scanne à la caisse, mais qui s’est déjà posé la question comment et pourquoi ils fonctionnent ? Coles, Barewell et al. (2013) font le lien entre cette invisibilité des mathématiques et l’omniprésence des technologies avec une éducation critique des mathématiques :
L’intégration des mathématiques dans les technologies de l’information a un certain nombre de conséquences importantes. L’une d’entre elles est que les mathématiques sont, dans un certain sens, invisibles. L’interaction avec les logiciels des systèmes informatiques ne permet généralement pas aux utilisateurs d’accéder aux algorithmes et aux modèles mathématiques sur lesquels le système est basé. Cette invisibilité permet bien sûr au système de fonctionner plus efficacement, mais elle masque également le rôle des mathématiques et, par conséquent, les décisions humaines qui sont prises quant aux variables et aux paramètres à inclure. Enfin, les technologies de l’information signifient qu’une « vision » mathématique de notre monde est profondément ancrée dans notre société. Seules les choses qui peuvent être mesurées et modélisées peuvent être incluses. Une éducation mathématique critique doit donc accorder une certaine attention au pouvoir de formatage des mathématiques et au rôle invisible des mathématiques dans nos vies.1
L’idée d’une éducation critique des mathématiques n’est pas nouvelle et a été développée par Skovsmose (1984, 1994, 2009). Selon lui, les mathématiques ne sont pas seulement un moyen puissant d’interroger le monde qui nous entoure, elles font partie de la structure de notre société (Coles et al., 2013).
Partir d’un problème réel et utiliser des mathématiques pour en trouver une solution est désigné par modélisation mathématique. Conrad Wolfram (2020) a développé un curriculum entier autour de la modélisation mathématique qui est actuellement implémenté dans des écoles en Estonie2.
Il ne faut cependant pas oublier que, même dans une leçon sur des applications mathématiques, l’accent reste mis sur les concepts mathématiques. C’est ce que Coles (2016) décrit dans son accomodation approach comme suit :
En tant qu’enseignant, je me concentre sur les mathématiques que les élèves vont apprendre. J’utilise des exemples du monde réel chaque fois que je le peux, mais dans chaque leçon, je m’éloigne rapidement du contexte pour me concentrer sur les mathématiques sous-jacentes. Les mathématiques sous-jacentes ont été déterminées par moi à l’avance et ne peuvent être remises en question.3
C’est également le cas dans ce module. Bien que la construction et la compréhension du mécanisme du code-barres soient présentes tout au long du module, l’accent est mis sur les mathématiques et surtout sur la réflexion mathématique. Si le but ultime était d’expliquer le fonctionnement du code-barres EAN 13, une leçon de 45 minutes aurait suffi : on donne la formule mathématique derrière le code-barres et on laisse les élèves faire quelques exemples. Dans ce module, cependant, nous essayons de faire comprendre aux élèves les raisons mathématiques derrière les différents choix de fonctionnement d’un code-barres : pourquoi possède-t-il une clé de contrôle, pourquoi cette dernière est-elle calculée à partir d’une somme plutôt que d’un produit, pourquoi utilise-t-on une division euclidienne par 10, etc. ?
En conclusion, le code-barres, bien que légèrement ancien, est un parfait exemple de mathématiques cachées dans notre vie quotidienne et qui amène à des réflexions plus profondes sur les restes des divisions euclidiennes. C’est pourquoi le mathématicien suisse Urs Stammbach (2006) avait choisi ce sujet comme thème pour son exposé lors de la 17e Journée suisse des mathématiques et de l’enseignement (Schweizerischer Tag über Mathematik und Unterricht) de l’ETH Zurich.
1 2013, Coles et. All. Texte original : The embedding of mathematics within information technology has a number of significant consequences. One is that mathematics is, in some sense, invisible. Interacting with software of IT systems does not generally give users access to the mathematical algorithms and models on which the system is based. This invisibility, of course, makes the system work more efficiently, but it also masks the role of mathematics and with it the human decisions that are made about which variables and parameters to include. Finally, information technology means that a mathematical ‘view’ of our world is deeply embedded in our society. Only things that can be measured and modelled can be included. A critical mathematical education, then, will include some attention to the formatting power of mathematics and the invisible role of mathematics in our lives.
2 Voir https://www.computerbasedmath.org/ pour plus d’information.
3 Texte original: As a teacher my focus remains firmly on the mathematics that students will learn. I use real-world examples whenever I can but the focus in each lesson perhaps quickly shifts away from the context and into a consideration of the underlying mathematics. The underlying mathematics have been determined by me in advance and is not open to question.
Références :
1. Alf Coles, Richard Barwell, Tony Cotton, Jan Winter, Laurinda Brown. (2013). Teaching mathematics as if the planet matters. Routledge; 1st edition
2. Skovsmose, Ole. (1984). Mathematical Education and Democracy. Educational studies in mathematics 21: 109–128.
3. Skovsmose, Ole. (1994). Towards a Philosophy of Critical Mathematics Education. Dodrecht: Kluwer.
4. Skovsmose, Ole. (2009). In Doubt: About Language, Mathematics, Knowledge and Life-worlds. Rotterdam: Sense Publishers.
6. Stammbach, Urs. (2006). EAN, ISBN, CD, DVD: Von Prüfziffern zu fehlerkorrigierenden Codes. Schweizerischer Tag über Mathematik und Unterricht. ETH Zurich.
7. Wolfram, Conrad. (2020). THE MATH FIX. Kirkus Media LLC.